"M"

Tapis, 1992

"M", 1992

Tapis "M".

Un tapis n'est pas une peinture. Il s'étend à terre pour être piétiné par des pas insouciants qu'il a pour objet de rendre plus agréables. Il se présente toujours à l'œil dans une perspective plongeante et plus ou moins fuyante. L'architecture des lieux ne lui devrait pas être étrangère. Deux grandes familles de facture les distinguent, la savonnerie et la tapis ras. Le premier plus moelleux, le second plus sévère. La lumière n'y joue pas sur l'un ou l'autre de même façon. Sur la première, elle capte les couleurs avivées par la coupe de bouts de fils dressés dont la relative mobilité rend le motif plus ou moins vulnérable. Sur le second elle met en valeur les fils serrés d'un imperturbable motif, "M" appartient à celle-ci.

"M" est une métaphore qui pourrait ne pas se lire, même si elle est dévoilée par son auteur. Il pourrait appartenir à cette multitude d'objets décoratifs dont les raisons qui ont présidé à leur représentation sont à jamais perdues et livrées de ce fait à l'appréciation ou à la dépréciation de chacun, fabulant ou non sur l'objet et le sujet de leur existence.

La métaphore hypothétique serait celle-ci. Le fond serait un ciel noir sur lequel flotterait un tapis volant fait du tressage d'un ruban continu bleu ciel. Une fenêtre en son milieu dévoilerait un rayon de lumière traversant l'espace. Le rayon a la puissance de l'illumination et de la révélation. Le tapis aurait pu s'appeler "Saül". S'il y avait un sens à l'ensemble celui-ci ne pourrait être compris qu'au travers des ombres des objets, la vision du dessus ne permettant pas d'en décrypter la forme. Ainsi l'origine du rayon est voisine d'une région masquée identifiée par une lettre dont le signe "M" n'est perceptible que par son ombre. La rayon touche le bord de la fenêtre et sur cet obstacle la lumière s'y déploie. Ce serait l'instant. Dans la direction du rayon, dans une région qu'il n'atteint pas mais indique, peut être serait ce un futur plus ou moins proche ou lointain, déjà le feu consume le ruban bleu ciel qui inéluctablement détruira l'ensemble du tapis volant, comme si le songe impalpable et fragile ne devait pas se dissiper de soi même et paisiblement, comme si le mirage d'un imaginaire voyage, le voguer-voler étaient sujets au risque des flammes de l'incendie ou du jugement. Sur la scène flotterait au vent solaire, en haut de deux mâts ou de deux aiguilles, révèlés par leur ombre, deux rubans aux couleurs de l'arc-en-ciel, comme si les éléments atmosphériques étaient étrangers aux évènements qui se tramaient. Passait par là, comme un astéroïde, une petite sphère identifiable à la signature de l'auteur.

 

Tapis, 1992.

Laine tisée.

H. 420 l. 300 cm.

Musée départemental de la Tapisserie, Aubusson.

Tissage Atelier Pinton, Felletin.